La fermeture des frontières du Bénin et du Nigeria ainsi que la coupure de l’électricité par le Nigeria mettent en lumière les défis auxquels le Niger risque d’être régulièrement confronté, au gré des orientations politiques des pays voisins. La crise actuelle ne peut s’éterniser, un rétablissement des relations entre les pays est envisageable à court ou moyen termes mais ce serait un équilibre instable par rapport auquel le Niger doit amorcer dès maintenant une réelle dynamique d’autonomisation en créant les conditions pour satisfaire tous les besoins vitaux de la population, de manière suffisante, avec des productions locales, tous secteurs confondus (industries, agricultures, énergies, santé, éducation, …).
Concernant l’accès à l’énergie, la preuve est faite de la non fiabilité du Nigéria à respecter ses engagements. L’électricité restera un moyen de pression politique par rapport auquel le Niger doit résolument se libérer. Il est indispensable d’amorcer la dynamique d’investissement nécessaire à cet effet. La vulnérabilité actuelle du Niger concernant l’approvisionnement électrique montre la relative légèreté avec laquelle, depuis trente (030) ans, les gouvernements successifs ont traité cette question vitale pour le développement du pays et le bien-être des populations. Il en est de même concernant l’accès au port du Benin qui risque régulièrement d’être fermé au Niger ou de servir de curseur d’ajustement du budget Béninois par des augmentations unilatérales de tarifs des produits à destination du Niger.
En observant la durée du projet de barrage de kandadji jusqu’à présent non achevé, l’inertie du projet de la centrale de Salkadamna qui peine à démarrer et la forte dépendance à l’importation de l’électricité à partir du Nigeria, il devient urgent d’adopter une feuille de route ambitieuse et d’engager une vraie dynamique à la hauteur des enjeux. Organiser les « Etats Généraux de l’Indépendance Energétique du Niger » serait l’idéal mais l’urgence et la situation du pays commande de s’atteler à la mise en œuvre immédiate de solutions pratiques basées sur des moyens de productions électriques disponibles localement.
Depuis le 26 Juillet 2023, et malgré les difficultés, la Nigelec et le gouvernement de transition ont pu assurer un approvisionnement électrique journalier qui s’est progressivement amélioré avec des périodes de coupures beaucoup plus courtes. Cela a été facilité par la disponibilité opportune d’une production locale de pétrole et par la mise en service progressive de la centrale solaire de gorou banda assurée par les opérateurs locaux et les agents de la Nigelec.
Néanmoins, l’usage des groupes électrogènes de manière quasi-permanente entraine une forte consommation de carburant dont le coût a conduit à un bilan négatif de la Nigelec en 2023. Une telle conséquence, bien que non directement liée à l’inflation, est à l’image des augmentations des coûts de l’énergie observées à travers le Monde. En soi, l’augmentation des coûts de production de l’électricité en 2023 est une tendance mondiale, pour diverses raisons. Cela devrait être pris en compte pour apprécier les efforts indispensables à déployer pour un meilleur accès à l’énergie au Niger. Il est nécessaire d’élaborer une vraie feuille de route politique et pratique définissant la trajectoire à court et moyen termes pour assurer l’équilibre budgétaire de la Nigelec tout en assurant l’autonomie énergétique du pays.
Le principal handicap repose sur le mode de financement des infrastructures énergétiques auquel s’ajoute la très faible industrialisation du Niger. Il s’agira donc d’innover pour surmonter ces deux freins, d’autant que l’industrialisation s’appuie sur un accès permanent de l’énergie à faible coût. L’implication citoyenne conjuguée au développement de nouveaux modes d’usages constituent des vecteurs puissants d’amélioration de l’accès à l’énergie, à mettre en œuvre de manière complémentaire.
Innover est indispensable, notamment en période de fortes chaleurs pendant lesquelles les usages des climatiseurs s’amplifient. Des mesures exceptionnelles, temporaires ou permanentes, sont nécessaires. Elles peuvent s’appuyer sur un engagement citoyen multiforme, intégrant une sensibilisation aux éco-gestes favorisant une consommation raisonnée et responsable mais aussi l’exploitation de toutes les sources énergétiques disponibles et mobilisables dans l’immédiat tels que les groupes électrogènes des personnes privées.
En Avril 2023, l’ARSE a donné un avis favorable à 71 demandes d’autorisation pour l’établissement et l’exploitation d’installations d’autoproduction électrique. Ainsi, on dénombre au moins 71 exploitants privés de groupes électrogènes pour leurs propres consommations en cas de coupures, à travers le Niger, avec une puissance cumulée de 42,3 MW, soit 35% de la puissance contractuelle de la ligne d’interconnexion 132 kV Birni-Kebbi (Nigeria) – Niamey (Niger) de puissance maximale 120 MW[1]. Ces autoproducteurs sont principalement basés à Niamey, avec un cumul de 40 MW. On y dénombre moins de 10 personnes physiques avec un cumul inférieur à 300 kW. Il est donc très probable que la capacité mobilisable est beaucoup plus importante, sachant que beaucoup de particuliers disposent de groupes électrogènes de petites et moyennes tailles. Il ne serait donc pas étonnant d’atteindre une capacité de 70 MW de groupes électrogènes mobilisables, en recensant tous les autoproducteurs, abonnés de la Nigelec. Cela correspond à la puissance moyenne d’approvisionnement électrique à partir du Nigéria. En permettant le raccordement au réseau de ces sources additionnelles de puissance, il est possible de limiter fortement les coupures en périodes de fortes demandes. Par ailleurs, la capacité de 40 MW disponible auprès des personnes morales, dont la grande partie œuvre dans les services (banque, ONG, …), pourrait servir pendant la nuit à renforcer la disponibilité du réseau électrique. Il suffira pour cela de mettre en place un dispositif partenarial entre la Nigelec et les autoproducteurs, ainsi que les conditions techniques de sécurité pour un bon fonctionnement de l’ensemble. Les coûts relatifs du carburant seront plus importants que pour l’usage des groupes électrogènes de la Nigelec qui sont beaucoup plus grands mais la rareté justifie le coût.
Dans un tel contexte, la rentabilité de l’énergie solaire est évidente, la parité réseau étant réalisable. L’appréciation du coût final du kWh électrique dépend de la valeur accordée au service énergétique. En effet, Les choses n’ont que la valeur que nous leur attribuons (Molière).
En plus de la mobilisation des groupes électrogènes des privés, favoriser le raccordement sécurisé au réseau des productions solaires photovoltaïques distribuées constitue un second vecteur d’amélioration de la disponibilité énergétique du réseau.
Le troisième vecteur repose sur la responsabilisation des usagers qui doivent adopter un mode de consommation vertueux, notamment dans les bâtiments publics et les collectivités territoriales. La sensibilisation aux éco-gestes est indispensable pour une meilleure maîtrise de la consommation d’énergie.
Le climatiseur étant le principal poste de grande consommation dans les bâtiments tertiaires et résidentiels au Niger, adopter certains comportements responsables pourrait contribuer à réduire fortement les pertes énergétiques et donc la consommation électrique.
Parmi les éco-gestes, nous pourrons relever les recommandations suivantes, entre autres :
1. Maintenir la consigne du climatiseur toujours supérieure ou égale à 26 °C, qui constitue un bon compromis de confort et d’économie d’énergie.;
2. Ne jamais dépasser 5 °C ou 6°C d’écart avec la température extérieure pour éviter des coups de chaud, sans jamais être en dessous de 26°C ;
3. Veiller à ne pas laisser les ouvertures ouvertes, ce qui permet de réduire fortement les déperditions thermiques ;
4. Eteindre la climatisation 15 à 20 minutes avant de quitter le local ;
5. Ne pas laisser la climatisation en marche dans un local non occupé ;
6. Etc.
Par exemple, pour une température extérieure de 45°C, idéalement, c’est de maintenir une climatisation intérieure autour de 40°C pour éviter les chocs thermiques lorsque l’on sort dehors. Pour celui qui désire un meilleur confort, il est possible de baisser la température jusqu’à 26°C mais pas en-deçà.
En effet, chaque degré d’écart augmente la consommation d’énergie de 4 %. Ainsi, en maintenant sa climatisation à 26°C au lieu de 19°C, une économie supérieure à 25 % est réalisable.
Dr Abdou Tankari Mahamadou, Docteur en Génie Electrique, Energies renouvelables, 19 Février 2024
N’hésitez pas à consulter le site : https://saheldurable.info/
Version téléchargeable de l’article : Innover pour un meilleur acces a lenergie au Niger 19FEV2024
[1] https://projects.worldbank.org/en/projects-operations/procurement-detail/OP00111123